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De Bruxelles à Paris, itinéraire d’une victoire

Une seconde de flottement, puis c’est l’explosion. Les Bleus viennent de remporter la Coupe du Monde face à la Croatie. Les supporters français réunis dans la cour de l’hôtel Steingenberger Wiltcher’s, à Bruxelles laissent éclater leur joie. La Marseillaise résonne, suivie de l’incontournable « On est les champions ! ». C’est parti pour une nuit de célébration !

Ce billet a initialement été publié sur mariegrs.mondoblog.org

Récit subjectif et non exhaustif d’une soirée hors du temps. 

Bruxelles, seuls contre tous

Une seconde de flottement, puis c’est l’explosion. Les Bleus viennent de remporter la Coupe du Monde face à la Croatie. Les supporters français réunis dans la cour de l’hôtel Steingenberger Wiltcher’s, à Bruxelles laissent éclater leur joie. La Marseillaise résonne, suivie de l’incontournable « On est les champions ! ». Des jets de bières sont projetés sur la foule déchaînée. De l’agitation générale ne ressort que trois couleurs : bleu, blanc, rouge. À l’écran, les joueurs s’embrassent. Le temps est beau, le ciel est bleu et la France vient de rempoter sa deuxième Coupe du Monde, vingt ans après 1998.

« Pas emballants, cyniques, mais champions du monde »

Si la cour du Steingenberger Wiltcher’s a attiré beaucoup de supporters français, quelques dizaines de Belges sont également présents. Difficile de les différencier des supporters croates : tous soutiennent la même équipe. Ce sont eux qu’on a entendu crier de joie lors des deux buts inscrits par la Croatie. Les Belges ont du mal à digérer leur défaite contre leur voisin outre-quiévrain en demi-finale. À Bruxelles, ville cosmopolite et européenne, ils sont soutenus par beaucoup d’étrangers qui n’apprécient guère ces Bleus « pas emballants, cyniques, mais champions du monde » (La Libre Belgique, lundi 16 juillet).

Des supporters français se prennent en selfie après le match (Crédit : Eugénie Senlis)

Transfert

Bruxelles toujours, Gare du Midi, 20h. Mes yeux brillent encore de cette chaleur brûlante partagée à l’unisson dans cette cour d’hôtel. Un couple a eu moins de chance : partis voir le match dans un bar du centre-ville, ils étaient seuls français parmi des supporters belges et croates, dont certains les ont violemment pris à parti « Rentrez chez vous, on ne vous doit rien. »  Certes, le pénalty de Griezmann peut être discuté, certes l’un des quatre buts mis par la France a été marqué par un joueur croate. Certes la façon de jouer de l’équipe française peut être discutée. Mais elle a aussi montré son efficacité.

« Les gens donnent plus facilement pendant la Coupe du Monde »

À l’extérieur de la gare, Pierre (prénom modifié) fume une cigarette. Il aborde un maillot noir, jaune, rouge (les couleurs de la Belgique). Pierre est à la rue depuis qu’il a perdu son travail. La Coupe du Monde, qu’il suit dans les bars alentours, lui permet d’oublier un peu sa situation « Les gens sont plus sympas depuis un mois, on parle de foot, ils donnent plus facilement ».

Le Thalys de 20h13 en provenance d’Amsterdam est plein à craquer. Mais l’ambiance est dans le wagon bar, où un groupe de jeunes supporters français hurlent à plein poumons des chants qui célèbrent leurs héros « We are the champions », la Marseillaise, « Didier Deschamps (x4) ». Derrière le bar, occupée à servir des bières qui ne cessent de se vider, Rose-Marie n’apprécie que moyennement l’agitation  « je ne sais pas ce qui m’a pris de venir travailler ce soir ». Si les passagers assis ne prennent pas part à la chenille pourtant lancée avec entrain, aucun ne râle, plusieurs semblent trouver plutôt amusante ces manifestations de joie. Nathalie et ses amies, qui ont regardé le match dans le train, rigolent « Au début on était seules dans le wagon-bar, on est dans le Thalys avec les gens les moins drôles du monde.»  Heureusement plusieurs compatriotes et même deux néerlandais les ont rejoint pour célébrer la victoire.

Crédit : Eugénie Senlis

Paris aux airs de 1998

Il est 21h35 lorsque le Thalys entre dans la Gare du Nord. La « bande du wagon-bar » reste groupée, on apprend qu’aucun métro ne fonctionne, que les transports en commun sont bloqués. Peu importe, on marchera. Direction les Champs Elysées. Dans la rue l’ambiance est surréaliste : la musique résonne, les Klaxons sonnent à tout-va, les gens se mêlent, se félicitent, mangent ou boivent aux Bleus. En cours de route on apprend que des affrontements ont eu lieu aux Champs, qu’il devient dangereux de s’y rendre.

Certains fervents supporters ont demandé des jours de congé à leurs patrons

Changement de plan, on se dirige vers les Grands Boulevard. Là, un attroupement s’est formé au milieu de la route. des pétards explosent, un feu d’artifice est lancé. Certains ont grimpé au sommet des poteaux, sur les voitures, tout le monde crie et danse. L’ambiance est euphorique (ou cataclysmique, selon les points de vue). Au Sunset Boulevard, les bières coulent à flot. Les barmans s’agitent dans tous les sens. Des groupes se forment, les voix s’élèvent ensemble, les joueurs sont célébrés alors qu’ils défilent à l’écran. Les mélodies sont reprises en choeur « Benjamin Pavard / je crois pas qu’vous connaissez / une frappe de batard / Il sort de nul part / Une frappe de bâtard / On a Benjamin Pavard ». Camille fête son 22ème anniversaire, une soirée dont elle se rappellera toute sa vie, même si elle n’a pas pu voir le match. Elle regrette quand même certaines attitudes « des gars en voiture m’ont interpellée dans la rue, puis ils m’ont volé mon drapeau ».

Il est maintenant 2 heures du matin, lundi 16 juillet. Les âmes raisonnables sont rentrées prendre un repos bien mérité, mais les plus heureux (ou alcoolisés ?) restent faire la fête dans les rues. Rarement Paris n’a connu telle effervescence. Certains ont même demandé une journée de congé à leurs patrons.

Des supporters français fêtent la victoire de leur équipe sur les Champs Elysées à Paris (crédit : Eugénie Senlis)

Lendemain de fête

D’autres n’ont pas eu cette chance et, à 8h du matin, les métros parisiens sont silencieux, les têtes plus fatiguées que d’ordinaire. Paris est en gueule de bois, mais de celles qu’on aime et qu’on ne regrette pas. Dans les kiosques les Unes sont remplies des visages extatiques des Bleus, d’exclamations en capitales, d’images de supporters heureux. À Lille la Voix du Nord et la Voix du Sport, fait rare, abordent quasiment la même couverture. Dans l’Eurostar qui les ramène à Bruxelles, deux hommes discutent avec animation de leur nuit « je suis rentrée à 7h du matin ».

Arrivée en Belgique, changement d’ambiance. La presse titre entièrement sur le retour des Diables Rouges dans le pays, dont la venue a attiré plus de 40 000 supporters sur la Grand Place. La victoire des Bleus est minorée, remplacée par les photos des Belges heureux, fiers de leur équipe qui est allée loin dans la compétition. Sur les réseaux sociaux, les tensions se sont accrues entre les deux pays cette semaine, non aidées par les joueurs eux-mêmes, entre la vanne de Lucas Hernandez sur le perron de l’Elysée et les propos peu amènes du gardien belge Thibaut Courtois.

Mais ce froid (temporaire, espérons le) ne doit pas faire oublier les émotions que cette Coupe du Monde aura fait ressentir dans les deux pays :  le sentiment d’une atmosphère de particulière pendant un mois, l’unité, l’impression de partager quelque chose.

Et surtout pour les Français, ceux qui comme moi ne se souviennent pas de 1998, la jubilation de pouvoir dire dans quelques années « J’y étais ».

Je tiens à remercier à nouveau Eugénie Senlis pour ses belles photos !


Les Belges unis derrière les Diables Rouges

Alors que d’importantes élections se tiendront dans quatre mois en Belgique, l’équipe nationale a défié les pronostics en se qualifiant pour les quarts de finale du Mondial en Russie. Une réussite qui unit les Belges derrière les Diables Rouges.

Ce billet a été publié par mariegrs.mondoblog.org.

Il est 19h30 ce lundi 3 juillet et le Big Game est déjà bondé. La Belgique joue à 20h en huitième de finale contre le Japon et le bar situé en plein centre de Bruxelles est un endroit bien connu des supporters des Diables Rouges. L’équipe nationale tente d’accéder aux quarts de finale du mondial pour la troisième fois de son histoire. À l’intérieur, des dizaines d’écrans retransmettent simultanément le match en anglais, afin que supporters néerlandophones et francophones comprennent.

À l’entrée des Diables sur le terrain l’ambiance s’échauffe. Les bières coulent à flot, les drapeaux noir, jaune, rouge s’agitent et la Brabançonne (l’hymne national) résonne. Rosana vient souvent voir les matches ici. Elle porte fièrement le maillot des Diables et, à l’oreille, un piercing aux couleurs de son pays. « L’ambiance est sympa ici, il y a plein de bars dans le coin donc les gens vont faire la fête après les matchs. » Rosana se définit comme Belge plutôt que Wallonne. Aujourd’hui, elle a invité son amie Dominique, qui a plutôt l’habitude d’aller regarder les matches dans sa commune, à Saint-Gilles. Les deux jeunes femmes affirment que la Coupe du Monde a uni les Belges.

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Les supporters des Diables Rouges regardent Belgique – Japon au « Big Game », à Bruxelles. Crédit photo : Marie Genries

« J’ai rarement vu autant de drapeaux belges aux fenêtres »

C’est aussi l’avis de Jean-Michel de Waele, professeur de science politique à l’Université libre de Bruxelles et sociologue du sport. Pour lui, la coupe du monde est l’occasion pour les Belges de retrouver un sentiment d’unité nationale. « Les Belges n’ont pas ce sentiment de chauvinisme que peuvent avoir les Français ou les Allemands, ils ne sont pas particulièrement fiers d’être belges. Mais le foot est un moyen de se rassembler, de retrouver ce sentiment. » Même lorsque les Diables Rouges ont affronté le Brésil en huitième de finale de la coupe du monde 2002 et le Pays de Galles en quart de finale de l’Euro 2016, il n’a jamais ressenti une telle effervescence nationale. « J’ai rarement vu autant de drapeaux belges aux fenêtres. Ma fille a appris la Brabançonne, alors que nos parents ne l’ont jamais connue. »

Le sport est également un moyen d’échapper un temps aux tensions qui traversent le pays, où se dérouleront en novembre les élections communales puis en 2019 les élections fédérales. Des scrutins marqués par la montée du parti indépendantiste flamand NVA (Alliance néo-flamande). « Le gouvernement ne contrôle plus rien et les gens ont l’impression que rien ne va », explique Jean-Michel de Waele, « mais on reste un peuple de fêtards et la coupe du monde le prouve. »

« Flamands et Wallons restent entre eux »

En effet, à l’intérieur du Big Game l’ambiance bat son plein à la mi-temps (0-0). Daniel, supporter néerlandophone des Diables, a amené ses tambours. Perché sur un tabouret il bat la mesure, déclenchant un cri commun « Belgium ! Belgium ! Belgium ! ». Pour lui « plus on ira, loin dans la compétition plus l’unité sera forte ».

Malgré cette entente apparente, les tensions entre les communautés subsistent. « Moi je me mélange pas trop avec les Flamands », affirme Rosana. D’ailleurs, elle ne parle pas néerlandais. Pour Jean-Michel de Waele, cette unité est temporaire : « en réalité, les supporters flamands et wallons restent entre eux ». C’est particulièrement vrai en dehors de Bruxelles, capitale hétéroclite. Le sport ne doit pas masquer la réalité politique : « en Flandres, vous pouvez très bien voir une affiche des Diables Rouges sur la devanture d’un magasin et à côté un tract du parti indépendantiste NVA. »

Tous l’affirment : même si la Belgique gagne la coupe du monde (certains pronostics le prédisent), le résultat n’aura que peu d’influence sur les élections à venir, qui devraient voir encore monter les indépendantismes flamands. « Quand l’équipe nationale joue, il n’y a pas de problème, explique Daniel, mais pendant les championnats de Belgique (où clubs flamands et wallons s’affrontent) les tensions entre communautés se font sentir. »

22h, le match se termine sur une victoire 3-2 des Diables et la fin d’un moment d’angoisse après deux buts marqués par les Japonais en moins de 10 minutes. Devant la Bourse de Bruxelles, la musique tonne, les gens dansent. La Brabançonne, chantée en français, est suivie de l’ultra-connu « Waar is da feestje? Hier is da feestje! » : « Où est la fête ? C’est ici la fête ». Comme les autres, Rosana fête la victoire de son équipe entre amies « Les gens sont unis pendant les matches mais ensuite, c’est chacun pour soi. »

Ce soir, les Diables Rouges rassembleront à nouveau leurs supporters le temps d’un quart de finale contre le Brésil. Ils tenteront d’accéder au dernier carré d’un Mondial pour la deuxième fois de leur histoire, et prolonger l’unité du ballon rond.