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Les Russes peuvent quand ils le veulent, mais ils ne le veulent jamais

Je dis toujours cette phrase pour expliquer le trait de caractère national. On est paresseux et en même temps on est tellement sûr de nous que l’on fait tout au dernier moment.

Cet article a initialement été publié sur : comcult.mondoblog.org

Cela ne donne pas toujours des bons résultats. On regrette ensuite de ne pas avoir anticipé les choses, mais on continue toujours le même schéma. Cela s’est vérifié avec la Coupe du monde. Russie. 2018.

Le gardien russe Akinfeev
Le gardien russe Igor Akinfeev Crédit: commons.wikimedia.org

Dimanche 1er juillet 2018. Tout le monde s’est dit que cela sera dur pour les Russes en huitièmes de finale. Beaucoup de gens soutenaient l’Espagne. Moi aussi, je voyais le fiasco, du genre 0-5 pour l’Espagne, vu que la Russie n’avait jamais été un pays fort dans ce championnat. Après l’élimination de l’Espagne, les Russes ont tous été sous le choc et dans la joie ; certains diront peut-être même que les Russes se sont, encore une fois, dopés.

Je suis exigeante vis-à-vis de l’équipe russe, c’est dû à la confiance que j’ai en elle.

Avant le début de match j’affirmais à mes amis que les Russes peuvent parfois faire des miracles. Je me disais que peut-être la terre natale pouvait aider l’équipe russe. Mais même moi, qui connais le caractère russe, je me disais dans mon for intérieur que, face à l’Espagne, notre caractère ne ferait pas grande chose. On a beau compter sur la force de caractère, quand une équipe de football mondialement reconnue joue en face de toi, tes croyances ne sont pas très utiles.

Un de mes amis a parié pour la Russie (il était le seul sur 21 paris !). Je rigolais, j’ai même dit qu’avec le brésilien naturalisé russe, Mário Fernandes, alors peut-être on aurait une petite chance de gagner, grâce à ses origines. « Je compte plutôt sur la magie de ton berceau natal ! » me répondit cet ami. Je voulais croire, croire à ma propre théorie.  Et, en effet, j’avais raison en disant que les Russes peuvent tout quand ils le veulent… cette pensée confortait ma croyance : si l’on gagnait, alors moi aussi quelque part, j’aurai une chance pour la réussite.

Les Russes ne lâchent rien. Les Russes n’abandonnent pas l’affaire même si tout le monde autour d’eux dit qu’il y a très peu de chance, qu’avoir l’espoir n’est pas toujours bien et que parfois il faut laisser passer. Les Russes sont têtus.

Avec la prolongation, j’étais intriguée par la fin du match, la victoire semblait quasiment dans nos mains. Avec le tir au but, je n’y croyais pas. C’était tellement proche, cette sensation du miracle qui semblait se réaliser, je croyais tomber dans les pommes. Les mains en sueurs, le corps froid par la panique, le souffle arrêté, j’étais scotchée devant l’écran : « Est-ce vraiment possible ? Est-ce arrivé ? ». Le miracle s’est bel et bien produit, la Russie l’a emporté, 5 buts contre 4 !

Les Russes ne savent pas perdre, ils n’aiment pas entendre dire « non », mais ils savent convaincre et ils savent se battre pour la victoire, donc pour ce qu’ils désirent le plus au monde.

Et voilà Igor Akinfeev, le gardien, « avec les mains qui poussent du bon endroit » (expression russe pour décrire une personne qui ne laisse pas tomber les choses). Voilà les Russes qui, pour la première fois dans l’histoire du pays moderne, atteignent les quarts de finale de la Coupe du  monde. Et la la première fois depuis 1970 si on compte l’équipe soviétique ! Donc ils le peuvent, quand ils le veulent. J’espère qu’ils le voudront aussi face à la Croatie, rendez-vous le 7 juillet…


En Russie, tout le monde sait jouer au foot, sauf l’équipe nationale de foot

Cette blague circule en Russie depuis mon enfance, donc les années 90, quand l’équipe de foot de l’URSS a cessé d’exister et tous les joueurs des pays voisins – avec le bon climat pour s’entraîner (la Géorgie, l’Arménie, etc) – sont partis pour constituer leurs équipes nationales. Depuis, l’équipe de Russie n’a pas eu beaucoup de lauriers… d’après les Russes.

Ce billet a été publié originellement sur comcult.mondoblog.org.

Quand on me demande quel est le sport national russe, je réponds le hockey, le biathlon, tous les sports de glace, ce qui paraît logique, on est un pays d’hiver. Même si en été il fait chaud (aussi en Sibérie !). Mais en réalité, le football est bien plus présent dans nos vies que n’importe quel autre sport. Enfants, quand les garçons sortent de chez eux pour jouer un peu dans la rue, ils font du foot.

Je me rappelle quand j’avais 11-12 ans, à mon école, on avait organisé une sorte de championnat de foot  avec des déguisements comiques. Pour gagner, les équipes devaient être habillées le plus absurdement possible et faire des sauts ridicules pour que le jury remarque notre talent de comédiens. Rejoindre une des équipes était possible pour tous les enfants, y compris les filles. Je ne savais pas du tout jouer au foot, mais j’étais responsable des costumes drôles pour notre équipe.

On avait convenu d’inverser un peu les rôles. Les garçons étaient censés jouer en portant les jupes et les filles des pantalons et avec des moustaches peintes à l’aquarelle. Je me rappelle comme c’était difficile de convaincre les garçons de porter des jupes. Ils ont donc décidé de les mettre dessus leurs shorts. On a insisté pour faire de jolies coiffures pour les garçons en argumentant que nos adversaires allaient beaucoup hésiter face à nous dans ces costumes.

On avait très peur de perdre ce concours. Les garçons au niveau de la tactique de jeu, les filles au niveau des costumes. Depuis l’époque soviétique, on disait toujours que c’est l’amitié qui gagne à la fin des compétitions dans les écoles. Cette fois-là, personne n’a pensé à l’amitié. On voulait gagner. Gênés par nos propres costumes, on a joué comme des vrais pros et on a remporté ce concours. C’était la première et unique fois où je jouais au foot. La même année, en 2002, l’équipe de Russie ne s’est même pas qualifiée pour les 8e de finale.

L’équipe moderne de Russie n’a rien gagné

Les connaisseurs de football vont me dire que l’équipe de la Russie est assez forte et donne parfois des bons résultats. Tout cela est lié à une erreur de perception. Les Russes sont généralement des maximalistes : aller jusqu’aux huitièmes de finale n’est pas une victoire. Au même temps pour le Pérou ou le Maroc, rien que d’être qualifié cette année pour la Coupe du monde après plusieurs décennies d’absence est une victoire.

L’équipe russe a été fondée dans l’Empire russe en 1912. Et depuis cela on n’a jamais gagné la Coupe du monde. En 1960, l’équipe de l’URSS a gagné le championnat d’Europe, puis on a eu quelques tentatives aux finales en 1964, 1972 et 1988. Mais l’équipe de Russie moderne n’a jamais été connue pour ses résultats.

Cependant la culture des supporteurs est bien plus avancée que les victoires de l’équipe. Les Russes n’aiment pas perdre, rien qu’une idée que nous pouvons ne pas réussir nous rend colérique, voilà pourquoi il y a eu les violences entre supporteurs anglais et russes avant le match de l’Euro 2016 en France.

Un match nul pour les Russes est une perte. D’ailleurs, nous avons fait match nul contre l’Angleterre. Quand, par exemple, le match nul entre l’Islande et l’Argentine donne quand même l’impression de victoire morale aux Islandais.

Les Russes chérissent leurs invités

La préparation de cette coupe du monde a été beaucoup critiquée, à cause des raisons politiques et organisationnelles. Effectivement, derrière tout cela il y a des motifs différents : la politique nationale agressive, le budget de 13,2 milliards de dollars pour la coupe, les stades non terminés à temps, les stations de métro pas du tout pratiques pour être fréquentées après le championnat, etc.

Mais ce championnat est important pour le peuple russe, pour ne pas se sentir isolé, pour pouvoir communiquer et faire connaissance avec les gens du monde entier. Pour que le monde entier sache aussi que les gens n’ont rien à voir avec la politique nationale. Les Russes n’aiment pas perdre, mais les Russes chérissent leurs invités et les moments passés ensemble.