Mawulolo

Pour les Sénégalais, la coupe du monde est déjà finie

Un élément perturbateur a modifié les habitudes du Sénégal et de ceux qui y vivent depuis le 14 juin : la coupe du monde 2018. Mais il n’aura même pas fallu attendre le 15 juillet, date de fin du mondial, pour que la vie reprenne son cours quasi-normal au Sénégal. La raison est simple : les Lions de la Téranga ont été éliminés dès le premier tour. Les rues ont repris leur animation habituelle même aux heures des matchs, ce qui n’était pas le cas avant l’élimination du Sénégal. Le choc, cette fois-ci, semble plus profond.

Ce billet a été initialement publié sur mawulolo.mondoblog.org.

L’intensité de l’espoir suscité par la victoire contre la Pologne est le même que celle du choc induit par l’élimination. Si l’on avait su que le but encaissé contre la Pologne ou l’égalisation concédée contre le Japon allait nous jouer des tours, on se serait pris autrement. En fait après les matchs, on peut toujours se donner des raisons. Il serait mieux de chercher les raisons de nos faiblesses.

Peut-être qu’il aurait fallu laisser le président Macky Sall rester en Russie pour tous les matchs. Eh oui, le Sénégal a gagné le seul match que le président a suivi depuis les tribunes. Ce voyage présidentiel a suscité beaucoup de critiques de la part des détracteurs du Président. Ce qui montre que même la vie politique sénégalaise a été perturbée par le Mondial.

Un jeune supporter à l'intérieur du Sénégal -Photo :Ndianko Ndao (avec son autorisation)
Un jeune supporter du Sénégal à l’intérieur du pays – Photo : Ndianko Ndao (avec son aimable autorisation)

Café, sushis, fair-play : des mots qui font mal

Avant cette coupe du monde 2018, lorsque l’on parlait de café dans les rues de Dakar, presque tout le monde pensait au café Touba, une production locale très prisée par la population. Mais depuis un certain mardi 28 juin 2018, le terme « café » nous fait penser à notre bourreau : la Colombie. Oui, ils sont appelés les Cafétéros.

Avant aussi, nous mangions des sushis et c’était presqu’une mode à Dakar. Mais maintenant, cela nous rappelle plutôt le Japon qui nous a contraint au nul.

On se disait que la Colombie était plus forte mais que cela passerait avec le Japon et la Pologne. Que nenni ! Les samouraïs étaient tenaces et c’est ce jour que nous avons tout perdu. Mieux, ils ont récolté moins de cartons jaunes que les Lions et c’est ce qui nous a éliminés. Cette règle du fair-play étant connue avant la compétition, je prie ceux qui crient à la tricherie ou à l’injustice de rester honnêtes. Le joueur Alfred Ndiaye, qui dit que c’est de la tricherie, n’a qu’à écouter son coach Aliou Cissé qui a vite fait de rappeler que la règle était connue de tous. Même si l’élimination de la bande à Sadio Mané nous fait mal, ne soyons pas mauvais perdants. Laissons aussi la VAR tranquille.

Exode rural au village du Mondial 

La Radio-Télévision du Sénégal (RTS) avait monté à la Place de la nation ce qui est appelé « le village du Mondial ». Après l’élimination du Sénégal, on croirait à un exode rural. Il n’y a presque plus personne dans le village, même pendant les matchs. Certains courageux y viennent encore, mais comparé à l’engouement d’avant, c’est le jour et la nuit.

Devant la célèbre boîte de nuit « le Thiossane », le podium servant pour les plateaux télés directs de la chaîne TFM a été démonté. La coupe du monde continuera en studio, avec des temps d’antennes réduits.

Les bars et restaurants ont réduit le nombre de baffles prévues et certainement leur commande de boissons aussi. Pourtant, avant l’élimination du Sénégal, tous les autres matchs aussi drainaient du monde. Pour les quelques fan-zones qui restent en activité, le public a diminué drastiquement.

La place de la nation, rebaptisée "Village du Mondial", vide de monde pendant un match - Photo : Roger Mawulolo
La place de la nation, rebaptisée « Village du Mondial », vide de monde pendant un match – Photo : Roger Mawulolo

Les maillots des Lions bradés

Avant le début du Mondial, le nouveau maillot des Lions de la Téranga ne semblait pas intéresser grand monde et on en trouvait partout dans les marchés. Après le match victorieux contre la Pologne suivi du nul contre le Japon, c’était devenu rare et cher. Les copies chinoises ont envahi le marché, le vent de l’espoir de la qualification soufflait encore et les vendeurs spéculaient. Après l’élimination par la Colombie, les maillots ne semblent plus prisés. Leur prix a diminué et des internautes font des blagues sur les réseaux sociaux et déclarent offrir le leur à qui le voulait. Un commerçant furieux a même bradé des maillots. Tous les drapeaux trônant sur les taxis et les motos de Dakar ont disparu comme par enchantement. Il reste à espérer qu’ils serviront pour la coupe d’Afrique des nations 2019.

Toutes les publicités où on vantait les mérites des Lions de la Téranga pour le Mondial sont devenues obsolètes. On ne voit donc plus que des publicités neutres concernant la coupe du monde. Les exploits attendus des Lions ne sont plus mentionnés pour vanter force et fougue. Soit la publicité était mensongère, soit la force et la fougue qu’on aurait acquises au travers de ces produits auraient été éphémères comme le premier tour du Mondial. Oui, nous nous expliquons les choses de manière simple et directe. Nos déductions sont tout simplement logiques.

En tout cas, nous qui voulions commencer par nous prendre pour la meilleure équipe d’Afrique en avons eu pour notre compte. On sait désormais qu’il ne faut jamais vendre la peau des Colombiens et des Japonais avant de les avoir battus. Même si c’est un marabout qui nous le prédit, on attendra la fin du match pour le croire.

Entre-temps, l’intensité de la guerre des télécommandes a aussi baissé dans les foyers sénégalais. Mais bon si on classe les équipes africaines à la coupe du monde, le Sénégal vient en tête. Être le premier des derniers est-il mauvais en soi ? A vous de me le dire.


Coupe du monde : la guerre des télécommandes s’intensifie

Sur les réseaux sociaux, beaucoup de blagues circulent sur la guerre des télécommandes que se livrent souvent les membres d’une même famille. C’est un réel combat qui ne dit pas son nom, et ce n’est pas la coupe du monde de football qui arrange les choses.

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La guerre des télécommandes : ce combat plus psychologique que physique que se livrent les membres d’une famille ou d’une maison repose sur le contrôle de la télécommande pendant les moments-clés. Le moment des affrontements varie selon les programmes préférés de chacun. Généralement, on insinue que madame a des préférences pour les télénovelas ou feuilletons ou autres séries et que monsieur voit ses préférences aller vers les matchs de football. Au milieu de ces deux camps se trouvent les enfants qui préfèrent les chaînes de dessins animés. Cette répartition des préférences est souvent vérifiée en Afrique voire aussi ailleurs, même s’il existe aussi bien des hommes préférant les télénovelas ainsi que des femmes aimant le football.

La principale cause de l’intensification du conflit est évidente depuis le 14 juin. La coupe du monde de football 2018 a débuté en Russie. Et 3 à 4 matchs sont au programme chaque jour. En Afrique, les heures de match s’étalent de 11 heures à 20 heures GMT. Et si on y intègre les émissions de débriefing, de commentaires et de reportage, la télévision est occupée quasiment toute la journée.

Les chaînes de télénovelas n’ont pas modifié leurs programmes, donc beaucoup de feuilletons coïncident avec les matchs ou émissions liées à la coupe du monde de football. Les chaînes diffusant les films et séries nigérians et généralement africaines ont le même problème.

« Mieux vaut être heureux que d’avoir raison »

Résultat : la guerre des télécommandes. Lorsqu’arrivent les heures de matchs où il faut céder la télécommande aux amoureux du ballon rond, les mines changent. Il en est de même quand arrivent les heures des feuilletons pendant qu’on suivait déjà un match de football ou un reportage fort intéressant sur la Coupe du monde. Le plus fort gagnera le combat de la télécommande.

Plusieurs stratagèmes sont utilisés pour être en possession de la télécommande avant l’autre. On cible l’heure de début de l’émission de l’autre et on s’accapare la télécommande avant. Ce coup réussi, on allume la télévision et on s’installe devant, la priorité revenant souvent à la personne qui a allumé la télévision en premier. Si vous avez réussi à avoir cette place, il ne faudra l’abandonner sous aucun prétexte, sinon jusqu’à la fin de votre émission. En cas de besoin pressant d’aller aux toilettes par exemple, on est capable d’y aller avec la télécommande si vraiment on ne peut retarder l’échéance.

Chacun essaie de jouer sur les faiblesses de l’autre pour le faire céder. Si l’homme est en train de perdre le combat, il pourra décider d’aller suivre le match chez un de ses amis ou au bar. Face à cet argument, c’est assez rare que madame ne cède pas. Elle préfère sacrifier son feuilleton que de savoir monsieur dehors et ne pas être sûre de l’endroit où il se trouvera.

Du côté de madame, on peut évoquer le manque de considération habituel ou la tyrannie masculine pour faire céder monsieur. Et comme souvent on dit « Mieux vaut être heureux que d’avoir raison », monsieur cède la télécommande. Le chantage marche donc. Il se raconte que les femmes peuvent poser des question du genre « Le pénalty se tire-t-il toujours par celui qui a subi la faute ?» Des question déconcertantes qui vous perturbent au point que vous préférez lui laisser la télécommande.

Les solutions pour une cohabitation pacifique

Pour éviter cette guerre, plusieurs voies peuvent être explorées. En voici la liste non exhaustive :

  • Souscrire à deux abonnements et avoir deux postes téléviseurs : chacun-e ou chaque groupe aura son poste téléviseur connecté à son bouquet et le problème est résolu,
  • Négocier : se répartir les horaires de manière rotative et se contenter des rediffusions des plages horaires ratées ; cette solution est vraiment adaptée aux familles qui ne disposent que d’un poste téléviseur et ne suivent que les chaînes nationales.
  • Subir sans protester : je vous le disais tantôt, « mieux vaut être heureux que d’avoir raison » et là tout dépend du plus fort de la maison.
  • La technologie peut aussi être un recours : avec un smartphone ou une tablette connectée à internet, vous pouvez suivre les matchs en streaming ou utiliser une application comme MyCanal (pour les abonnés Canal+) pour suivre vos matchs ou vos feuilletons. C’est selon…

Dans cette guerre des télécommandes, n’oubliez pas que l’essentiel est que tout le monde puisse y trouver son compte. Malgré votre passion pour l’un ou pour l’autre des loisirs télévisuels, sachez qu’après la télévision et ses émissions, il y a une vie.


Sadio Mané, la star du Sénégal vient de la Casamance

La tradition veut que chaque équipe présente à la Coupe du Monde ait sa star. Cette année, la star des Lions de la Téranga, l’équipe nationale du Sénégal, c’est… Sadio Mané, le joueur de Liverpool. Sadio Mané vient d’une région particulière du Sénégal : la Casamance.

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Sadio Mané assure la continuité d’une longue lignée de joueurs talentueux que la Casamance a offert au Sénégal. Elle a été et demeure aujourd’hui un véritable vivier de talents pour le football sénégalais. Cette région est particulière car elle a été longtemps meurtrie par une tentative de sécession armée. Pourtant, même en ces moments difficiles, le football et les joueurs ont toujours maintenu le lien entre cette région et le reste du pays. Au fond, grâce au football, la Casamance est restée sénégalaise.

La Casamance

Située au sud du Sénégal, la Casamance est la partie la plus verte du Sénégal. Une zone à fort potentiel économique et peu exploitée, habitée principalement par des ethnies comme les Diolas, les Balantes, les Manjacks et les Peuhls. Ses grandes villes correspondent à ses trois régions  : Ziguinchor, Kolda et Sédhiou. La Casamance a une superficie d’environ 52 000 km² et une population d’environ 1.950.000 habitants.

Les gens originaires de la Casamance sont généralement fiers, dignes et travailleurs. Ils sont souvent prompts à combattre tout ce qu’ils considèrent comme de l’injustice. Peut-être ont-ils tous le même sang que la résistante Aline Sitoé Diatta ?

Le bateau Aline Sitoé Diatta reliant Dakar à Ziguinchor - Photo : Comlanvi Mawulolo
Le bateau Aline Sitoé Diatta reliant Dakar à Ziguinchor – Photo : Comlanvi Mawulolo

Le triste naufrage du bateau le Joola, qui assurait la liaison entre Ziguinchor et Dakar, fait aussi partie de l’histoire de la Casamance. Ce drame survenu le 26 septembre 2002 a laissé une trace indélébile dans la mémoire collective de la Casamance.

Une chose est sûre : la paix est revenue et l’industrie du tourisme reprend peu à peu ses droits. La localité de Cap Skirring reste l’une des stations balnéaires les plus prisées du pays.

L’Agence nationale pour la reconstruction de la Casamance (ANRAC) et le gouvernement sénégalais y déploient des projets pour l’amélioration de la vie des populations. Beaucoup reste quand même encore à faire pour atteindre les zones les plus reculées.

Actuellement, la zone est plutôt bien desservie, par voie maritime et aérienne. Ce qui n’était pas le cas avant. La voie terrestre oblige à traverser la Gambie de part en part. Le détour pour ne passer que par des villes du Sénégal est plus long.

Avant Sadio Mané

Le plus célèbre footballeur, avant Sadio Mané, est feu Jules François Bocandé. Passé par le club phare de la région, le Casa-Sports, Bocandé a fait l’essentiel de sa carrière  en France (FC Metz, Paris Saint-Germain, OGC Nice et RC Lens). Il a mené les Lions du Sénégal dans plusieurs coupes d’Afrique. A la fin de sa carrière, il a intégré le staff technique des Lions. Né à Ziguinchor en 1958, il repose sur ces terres depuis son décès en 2012.

Mis à part Bocandé, on peut citer aussi Souleymane Sané, qui a évolué en Allemagne. Souleymane est le père de Leroy Sané, de Manchester City, qui, lui, joue pour l’Allemagne. A ces deux joueurs, on peut rajouter Roger, Jean et Adolphe Mendy ou encore Christophe et Lamine Sagna.

La génération la plus célèbre du football sénégalais est celle de 2002 sous la houlette de Bruno Metsu. Elle fut finaliste malheureuse de la Coupe d’Afrique des Nations organisée au Mali. En 2002 toujours, lors de la coupe du monde en Corée et au Japon, elle a réussi l’exploit de battre la France, alors championne du monde en titre ! Elle s’est ensuite hissée jusqu’aux quarts de finale, niveau le plus haut jamais atteint par les équipes africaines à la coupe du monde. Dans cette cuvée, les originaires de la Casamance étaient nombreux. Il y avait l’actuel sélectionneur des Lions, Aliou Cissé, qui était le capitaine de l’équipe, mais aussi Ferdinand Coly, Tony Mario Sylva ou encore Salif Diao et Lamine Diatta. Bien qu’à l’époque le ballon d’or africain El Hadji Diouf était la star de l’équipe, les Casamançais faisaient partie des piliers.

https://www.youtube.com/watch?v=VeemzU2cKdE

Sadio Mané, l’humble star de 2018

Sadio Mané évolue actuellement à Liverpool, en Premier League anglaise, il est la star incontestable du football sénégalais. Brillant par son talent sur les pelouses européennes, son humilité est vraiment frappante. Dans ses interviews, on sent son attachement au Sénégal mais on sent aussi un attachement très fort à sa région d’origine, la Casamance.

Né le 10 avril 1992 à Sédhiou, Sadio Mané est originaire de Bambali, un petit village de la région. Il y a grandi et joué avant de rejoindre Dakar à l’âge de 15 ans. Il intégra le centre de formation Génération Foot qui travaille en partenariat avec le FC Metz, un club français. Son talent fut remarqué dès le premier jour de tests de recrutement malgré les équipements inadéquats qu’il portait (culotte, maillot et chaussures). Pouvait-il en être autrement ? Sadio Mané ne venait pas d’un milieu modeste mais d’un milieu vraiment pauvre. Mais comme pour tout bon Casamançais, la pauvreté n’est jamais source de lamentations ou d’indignité. Se battre est leur maître-mot, et Sadio Mané en est l’exemple.

Après Metz de 2011 à 2012, Sadio joue en Autriche, au Red Bull Salzbourg, de 2012 à 2014. Partout son talent fait mouche. Les portes de la Premier League s’ouvrent pour le petit Casamançais, il arrive à Southampton où il restera jusqu’en 2016. Les Reds de Liverpool ne résisteront pas au talent du jeune de Bambali. Sa bonne saison 2017-2018 le conduit en finale de la plus grande des compétitions de clubs : la Ligue des champions européenne. Premier Sénégalais à disputer une finale de cette compétition, il est aussi le premier à inscrire un triplé. Joueur-cadre et star de Liverpool, le club n’a pas hésité à le faire accompagner par un physiothérapeute personnel, Dave Galley, à la CAN 2017 au Gabon.

Le vœu de Sadio

Le vœu de Sadio est de faire bonne figure au Mondial 2018 en Russie et de faire mieux que la génération de 2002.

Si les Lions de la Téranga arrivent en finale de la coupe du monde, peut-être que Sadio fera encore convoyer 300 maillots à Bambali. Pour la finale de la Ligue des Champions, il l’avait fait avec des maillots de Liverpool. Un grand bonheur pour les habitants de ce village si fiers de leur fils. Et il le leur rend bien. Plusieurs infrastructures (lycée, centre sportif et autres) entièrement financées par Sadio sont en construction dans le village.

Quand on lui pose la question de savoir pourquoi Bambali et ses habitants méritent autant de gestes de sa part, Sadio Mané répond : « c’est un devoir pour moi de donner de la joie à ce village qui m’a vu naître et qui m’a tout donné »… un vrai Casamançais !

Ce qui est sûr :  s’il neige à Kaluga*, il fera froid à Bambali…

* Kaluga : camp de base du Sénégal en Russie