Ruben BONI

Côte d’Ivoire au Mondial 2006 : jouer collectif dans un pays divisé ou comment le football unit

En Côte d’Ivoire, qui ne se souvient pas de la mémorable qualification des Éléphants au mondial 2006 ? Pour la première fois de son histoire, la bande à Didier Drogba obtenait son ticket pour la coupe du monde de football ! Retour sur cet événement qui restera dans l’Histoire ivoirienne non seulement sur le plan sportif mais aussi politique.

Ce billet a initialement été publié sur lepetitkettinois.mondoblog.org.

4 septembre 2005 : avant-dernière journée des éliminatoires, la Côte d’Ivoire accueille à Abidjan le Cameroun en match retour. Si l’équipe ivoirienne remporte le match, elle est qualifiée d’office pour la coupe du monde en Allemagne. Tous les pronostics sont en sa faveur. Malgré cela, quelques illuminés appellent à la méfiance vis-à-vis de l’équipe Camerounaise, expérimentée et non sans talents.

Dans le pays tout entier, c’est la fête avant l’heure. Du nord au sud, malgré la rébellion armée qui divise le pays, on s’unit autour du drapeau ivoirien. À la télévision nationale, Didier Drogba et ses compagnons promettent de ‘’mouiller le maillot’’. Samuel Eto’o, leur affectueux beau-frère, garantit que les Ivoiriens dormiront à 17 heures, allusion faite à une victoire Camerounaise.

15 heures, le coup d’envoi du match est donné. Galvanisée par un stade Félix Houphouët-Boigny archi-comble, l’équipe ivoirienne se sent pousser des ailes et se met à découvert. Les Lions indomptables du Cameroun, maîtrisant assez bien la pression de ce genre de rencontre, en profitent pour ouvrir le score. Dès lors, les Eléphants de la Côte d’Ivoire ne cesseront plus de tenter de rattraper leur retard.

Malgré un Didier Drogba survolté par la présence de José Mourinho (son entraîneur à Chelsea) dans les tribunes, ses deux épileptiques buts seront insuffisants. Le match s’achèvera sur le score de 3 à 2 pour les visiteurs. Et le pays s’endormira bien trop tôt ce jour-là.

Mais tout n’était pas encore perdu. Pour acter la qualification de l’équipe ivoirienne au Mondial, il fallait qu’une difficile probabilité se réalise. A la dernière journée des éliminatoires, le Cameroun fait face à L’Egypte et doit être tenu en échec sur sa pelouse. La Côte d’Ivoire, elle, doit remporter à l’extérieur sa confrontation.

Et bien, aussi improbable que cela puisse paraître, c’est ce qui arriva trait pour trait. Le Cameroun a été tenu en échec par les Pharaons et ne verra jamais l’Allemagne (pays organisateur en 2006). La Côte d’Ivoire toute entière est aux anges. Elle se permettra même de rêver à la paix.

Le sport, un vecteur de la paix

Du sport à la paix, il n’y a qu’un pas. Devant la liesse générale en Côte d’Ivoire, l’équipe ivoirienne a fait une chose inattendue : dans une vidéo, les joueurs se sont tous mis à genoux et ont appelé à la réconciliation et à la paix en Côte d’Ivoire.


Le jour où la Côte d’Ivoire s’est qualifiée pour le Mondial 2006, Téléfoot

 

A cette époque-là, les tensions politiques étaient encore très vives. Une année plus tôt, une tentative de reconquête du territoire national par l’armée régulière avait échouée. Le pays restait donc coupé en deux : le sud tenu par les Forces armées nationales de la Côte d’Ivoire (FANCI) et le nord tenu par les Forces armées des Forces nouvelles (FAFN)

Novembre 2004 marque un changement net de ton dans le conflit ivoirien. La mission des soldats français consistait à faire respecter le cessez-le-feu en application des accords de paix. Mais le 4 novembre, les bombardiers Sukhoï de l’armée ivoirienne (Fanci) bombardent les positions françaises de l’opération Licorne à Bouaké. Quelques heures plus tard les autorités ivoiriennes expriment leurs regrets en affirmant que les bombardements ont atteint par erreur les cibles françaises. Quelques heures plus tard, les deux avions bombardiers Sukhoï 25 revenus au sol à l’aéroport de Yamoussoukro après leurs attaques, sont immédiatement détruits par les forces françaises.


Bombardement de Bouaké. Vidéo de « Jeune Afrique » sur Dailymotion

Dans la ville d’Abidjan la tension monte. Le 9 novembre, l’armée française, force impartiale en Côte d’Ivoire, s’était sentie contrainte à intervenir en plaidant la « légitime défense élargie » dans le cadre de la protection et de l’évacuation des ressortissants français de Côte d’Ivoire. A Abidjan, encerclée par des milliers d’Ivoiriens en colère, les soldats français ouvrent le feu sur la foule. Plusieurs dizaines de morts et de blessés seront enregistrés. Dès lors, une ambiance de quasi-guerre règne dans tout le pays, les tensions sont extrêmes.

Dans cette atmosphère délétère, le football a réussi l’exploit de redonner de l’espoir à tout le pays, au sud comme au nord, dépassant tous les conflits. Autour du ballon rond, les Ivoiriens oubliaient la réalité quotidienne et commentaient chaleureusement chaque sortie des Eléphants. L’Ivoirien du Nord et celui du Sud regardait ensemble la télévision. Le Français et l’Ivoirien se chahutaient de nouveau à l’issue d’un match amical France – Côte d’Ivoire.

Tous ces événements attestent que le sport est fédérateur, c’est un moyen extraordinaire de promotion de la paix. Il abaisse tensions et conflits et lève les barrières géographiques et sociales. C’est un puissant outil de partage des idéaux de fraternité, de solidarité, de non-violence, de tolérance et de justice. En témoigne la récente détente politique entre la Corée du Sud et la Corée du Nord lors des Jeux olympiques d’hiver de Pyeongchang.

Ainsi, pour le Mondial de football qui s’ouvre le 14 juin 2018 en Russie, je souhaite une chose en particulier : que cette fête du football mondial apporte les prémices de la réconciliation et de la paix dans les pays divisés. Particulièrement au Sénégal, au Nigéria et dans tous les pays qualifiés qui vivent une situation similaire à celle qu’a connue la Côte d’Ivoire.

Football, unité et réconciliation !


Au football, trop d’enjeux tuent le jeu

Dans les dictatures, l’enjeu fait le jeu. Car le sport est détourné pour servir comme un outil de propagande. Une simple compétition sportive telle que la coupe du monde de football 2018 en Russie peut devenir une véritable affaire d’Etat. Le retour à la maison sans l’ombre du prestigieux trophée peut être interprété comme une grande trahison. À grande trahison, terribles châtiments exemplaires. Quelle honte !

Cet article a été publié sur lepetitkettinois.mondoblog.org.

Le football, outil de propagande des dictatures

Dans les régimes autocratiques, tout est pris ‘’très très très’’ sérieusement. Il faut tout et bien faire, comme si sa propre vie en dépendait. Et ce n’est pas qu’une métaphore. Se faire éliminer à la phase de poules du mondial 2018 en Russie, par exemple, peut déclencher le courroux des dieux.

Les dieux, ce sont ces hommes d’Etat autoritaires dont la passion pour le sport n’a d’égal que leur folie narcissique, totalitaire et leur rêve d’hégémonie mondiale. Pour eux, l’occasion d’une compétition sportive nationale ou internationale a un intérêt politique démesurément grand. C’est une tribune pouvant servir la cause de diffusion de l’infecte philosophie de leurs régimes haineux vis-à-vis des droits humains. Voilà un exemple concret, lu sur Vice Sports :

« (…) La dictature [espagnole de l’ère Franco] s’est assurée d’estomper les valeurs propres au sport pour les substituer par celles du régime. L’éducation physique est ainsi devenue une méthode de propagande en plus, un moyen d’atteindre le fameux citoyen « parfait » de la philosophie fasciste classique – « l’homme fonctionnel » de Mussolini ou le « surhomme » hitlérien, avec toujours dans le tas la composante ethnique. Au moyen d’outils comme le Front de la Jeunesse, la Section Féminine et le Syndicat Espagnol Universitaire, le sport s’est plus orienté vers la préparation de potentiels membres de l’armée ou de la Phalange que vers la formation d’individus sains. »

Les joueurs punis, humiliés, torturés

Quand les enjeux sont hyper élevés, la désillusion est comme un coup de poignard de Judas. Alors, forcément, voir ces athlètes ou son équipe nationale de football rentrer prématurément et sans la récompense suprême fâche. Ainsi, comme souvent, quand un autocrate est mécontent, les conséquences se ressentent dans la chair du ou des concerné(e)s. En effet, les exemples foisonnent, même dans l’histoire récente.

    • Deux jours et deux nuits à la caserne : en Côte d’Ivoire, les joueurs de l’équipe nationale de football ont été mis au pas à la suite de l’élimination en phase de poules à la CAN 2000. Le général aura ces mots durs : « La prochaine fois, vous resterez pendant la durée de votre service militaire, c’est-à-dire dix-huit mois, et nous allons vous mettre en treillis. (…) A bon entendeur, salut !». A lire dans Libération
    • Goulags ou travaux forcés : en 2010, en Corée du Nord, l’élimination de l’équipe nationale de football au premier tour du mondial a fait des victimes. Convoqués au Palais du dirigeant de l’époque Kim Jong-Il, les joueurs auraient été humiliés. L’entraîneur, lui, aurait eu moins de chance. On le dit transféré dans un camp de travail forcé pour « trahison de la confiance de Kim Jong-Il », rapporte le Parisien.
    • Torture de sportifs : Dans les années 1990, Uday Hussein, le fils aîné de Saddam Hussein, est en charge de l’équipe nationale d’Irak de football. A chaque contre-performance, l’équipe et son staff sont emmenés en séjour à Al Radwaniyah, une prison tristement réputée. En effet, la torture de prisonniers y était pratiquée. Uday Hussein en personne aurait participé à certaines de ces séances. Plus d’infos dans The Guardian.

Au Burundi, le président Pierre Nkurunziza fait arrêter des immigrants congolais après un match de football. Reportage de RFI.

Le sport doit être au service d’un but positif

Cette année, la plus haute compétition du football mondial se tient en Russie. Sur cette terre, plusieurs sportifs ont aussi ‘’bavé’’. En effet, dans les années soviétiques, les frères Starostine, footballeurs du Spartak Moscou, ont été envoyés au Goulag.

L’affaire du dopage d’athlètes russes aux Jeux olympiques ne finit pas non plus de faire jaser et d’inquiéter. Certains spécialistes dénoncent un vaste système de dopage institutionnalisé tandis que d’autres y voient une similitude avec les pratiques fascistes.

Alors, vu la qualification au mondial d’équipes dirigées par des gouvernements autoritaires et les suspicions de retour aux périodes sombres du sport, il y a lieu d’interpeller. Que les dirigeants du monde sachent que le sport est avant tout à considérer comme un jeu. Il doit être tenu loin des guéguerres politiques, car les compétitions sportives sont une occasion de célébrer l’amitié et la fraternité entre les peuples. C’est un moyen de démontrer notre humanité. Tout au plus, le sport pourrait servir la cause d’un but politique positif : celui d’unir et de contribuer à la paix entre les Hommes.

Vive le sport, vive la fraternité, vive l’esprit fair-play !

« Dans la considération dont [les peuples] jouissent à l’étranger, les performances sportives entrent pour une proportion non-négligeable. » Léopold Senghor, 1961.

« Nous devons construire la nation… Je prendrai un soin jaloux à faire en sorte que tout parte du sport. » Joachim Bony, ministre ivoirien de la Jeunesse et des Sports, mars 1966.